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Les cabinets de conseil dans le collimateur du Sénat... qui manque de peu sa cible.

Le scandale est arrivé aux oreilles du grand public à travers l’affaire du cabinet de conseil américain McKinsey, largement sollicité par l’État français. Il est accusé notamment de ne pas avoir payé l’impôt sur les sociétés pendant 10 ans. Le malaise au sein de la macronie s’accentue avec l’attribution de marchés importants à des cabinets de conseils et de stratégie pendant la crise sanitaire. Il s’avère que cette dérive est devenue récurrente pour l’ensemble des politiques publiques.

Face aux interrogations des parlementaires, le précédent Premier ministre a transmis le 19 janvier 2022 à ces ministres une circulaire pour l’encadrement du recours par les administrations et les établissements publics de l’État aux prestations intellectuelles, qui proposait de réduire les dépenses liées au recours aux cabinets de conseil de 15% sur les prochains exercices budgétaires. Cette circulaire a été qualifiée par le Sénat de « mur de papier », et le recours systématique à ces cabinets d’atteintes à l’intérêt général.

Constatant l’inaction d’un gouvernement se limitant à des effets d’annonce, des sénateurs ont déposé le 21 juin 2022 une proposition de loi trans partisane pour mettre en œuvre les 19 recommandations issues du rapport du sénat du 16 mars 2022 sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques.

Il s’agirait notamment de « mieux encadrer les interventions des consultants et les rendre plus transparentes, pour limiter leur influence sur les politiques publics et éviter les dérives constatées par la commission d’enquête ».

Si les objectifs de la proposition de loi sont louables en ce qu’ils permettent de faire œuvre d’une plus grande transparence et plus de rationalité dans le recours aux consultants externes, il n’en demeure pas moins que le texte n’est pas à la hauteur des constats alarmants étayés dans le rapport de la commission. Il ne donne aucune garantie de réduction et de limitation aux recours systématiques à de la main d’œuvre extérieure à l’administration.

Une véritable « dépossession » politique et administrative des ministères.

Le texte en discussion propose de « réinternaliser » le rôle de conseil au sein des administrations sans plus de précisions.

En premier lieu, les cabinets se présentent en « experts ». Or, qui mieux que les fonctionnaires ou contractuel∙les de l’État qui connaissent leur métier pour analyser et transformer si besoin les domaines d’exercice de l’administration tels que les ressources humaines, les finances publiques pour ne prendre que ces deux exemples ?

En second lieu, les cabinets de conseil jouent un rôle « d’arbitre ». N’y a-t-il plus de pilote dans l’avion ? À quoi sert un ministre et son cabinet s’ils ne sont plus capables de prendre eux-mêmes des arbitrages quant au devenir de leur administration ?

En troisième lieu, les consultants seraient des « pompiers » de l’administration. Les compétences internes existent, encore faut-il qu’elles soient disponibles. Les milliers d’emplois supprimés ces quinze dernières années et les surcharges de travail qui en résultent sur les agents en poste justifient sans peine le besoin d’une aide extérieure. Cette situation est le résultat de choix politiques ineptes et dangereux, car la dépense de consultants engagée en 2021 (1 milliard d’euros) aurait permis à elle seule d’embaucher près de 20.000 fonctionnaires (pour un coût moyen de 50.000 euros cotisations sociales incluses) !

Est-il nécessaire de rappeler que le recours aux Cabinets de conseil a surtout servi à conduire des réformes régressives en termes de droits sociaux (retraite, APL assurance chômage, demandes d’asile), à accompagner des projets de restructurations et de suppressions d’emplois mais aussi à infantiliser les agents en réduisant leur marge d’autonomie dans le travail et en abîmant au passage le sens de leur travail et de leur engagement pour le service public ?

Des avancées incontestables en termes de transparence et de probité.

La proposition de loi permettrait, si le texte est voté en l’état, de nombreuses avancées en termes de transparence sur l’utilisation des deniers publics en obligeant les administrations à publier chaque année un document budgétaire retraçant les dépenses de cabinets de conseil. Ce document serait mis à la disposition des citoyens en données ouvertes (open data) et disposeraient d’une information plus complète au sein des futurs rapports sociaux uniques (ex bilan sociaux).

Les consultants seraient également tenus de produire pour chaque mission une déclaration d’intérêts à la haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).

Par ailleurs, la proposition de loi pose le principe d’un plus grand contrôle dans le pantouflage et le rétro pantouflage des agents publics dans les sociétés de conseil, phénomènes qui concernent dans la grande majorité des cas les personnels dirigeants des administrations.

En outre, l’utilisation à outrance des logos de l’administration dans les livrables des consultants serait interdite, leurs résultats soumis à une évaluation ex-post et des garanties sur la protection des données publiques seraient mises en place. Enfin, la proposition de loi entend contrôler l’utilisation des données collectées par les cabinets conseil en interdisant leur utilisation pour toute autre finalité que celle de la prestation et en prévoyant la suppression des données un mois après la mission.

Des marges de progression importantes pour contenir ce « phénomène tentaculaire ».

D’abord, le lecteur de la proposition de loi s’étonnera de l’exclusion des collectivités territoriales et de leurs établissements publics du champ d’application de la loi. Le législateur ne saurait ignorer que ce phénomène concerne tout autant les collectivités que l’État.

Ensuite, la proposition entérine en quelque sorte le principe du recours aux prestataires quel que soit le domaine d’activité, ce qui est inquiétant. Elle pourrait proposer d’exclure les fonctions dans lesquelles l’administration est la meilleure experte, comme par exemple la stratégie de mise en œuvre d’une politique publique, l’organisation de ses services, la gestion de ses ressources humaines, les questions juridiques ou encore les finances et la comptabilité publique.

Bien sûr, il existe des domaines dans lesquels l’administration n’est plus en pointe. En matière Informatique et dans une moindre mesure dans les métiers de la communication, l’État ne dispose pas toujours des compétences en interne. Cela dit, ces constats sont anciens et rien n’a été entrepris sérieusement pour combler ces lacunes en adaptant son recrutement et son offre de formation depuis que ces retards d’avenir sont constatés.

Les nouveaux pouvoirs de contrôle ouverts aux organisations syndicales (examen a posteriori des évaluations des cabinets via le rapport social unique et possibilité de saisine de la HATVP sur les déclarations d’intérêts) font l’impasse des compétences réglementaires des instances représentatives du personnel : organisation des services et conditions de travail notamment. Au moment de l’examen en comité technique, il est déjà trop tard : la décision de recours au cabinet a déjà été prise et les projets de réorganisations de service sont déjà verrouillés, ce qui réduit les marges de négociation et tronque totalement le dialogue social.

La proposition de loi mériterait en outre d’être assortie d’une étude d’impact évaluant le coût de la mise de mise en œuvre de cette proposition de loi en termes de d’effectifs administratifs utiles à sa mise en œuvre. Il ne faudrait pas qu’en plus, elle multiplie les effets de bureaucratisation au détriment des métiers techniques essentiels au fonctionnement du service public.

L’UFSE-CGT et ses organisations continueront d’exiger la transparence et la fin de cette marchandisation de l’action publique. La Fonction Publique n’est pas une part de marché !

L’UFSE-CGT revendique des politiques publiques au service de l’intérêt général et non des intérêts privés. Il est urgent de créer des emplois pérennes et de revaloriser les salaires !

Cette analyse de l’UFSE-CGT (Union des Fédérations des Syndicats de l’État CGT) est téléchargeable en format imprimable en haut à droite de la fenêtre.

Pour aller plus loin :

Article publié le 28 juin 2022.


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